≈ 2 heures · Avec entracte
Dernière mise à jour: 2 octobre 2018
Chers amis,
Je suis ravie d’être de retour à Ottawa pour ce récital. L’une des grandes joies des tours de chant est qu’ils permettent de raconter un voyage unique à travers les styles, les langues et les époques. Ce programme des plus éclectiques a été conçu à l’image de mes goûts musicaux, mais aussi dans l’espoir que chacun en tire parti, par le familier ou la découverte.
Franz Schubert (1797–1828) a écrit des mélodies tout au long de sa vie, de sa première œuvre publiée alors qu’il n’avait que dix-sept ans (Erlkönig) à ses toutes dernières compositions, quelques semaines avant sa mort. Dans un imposant catalogue de plus de six cents lieder, écrits sur une période étonnamment brève de tout juste 14 ans (en plus d’une production colossale dans d’autres genres musicaux), on compte bon nombre de pièces parmi les plus populaires et appréciées du public.
Chanteurs, pianistes, auditeurs et commentateurs ne tarissent pas d’éloges sur « An Sylvia ». C’est l’un des trois lieder que Schubert a composés sur des textes de Shakespeare, celui-ci tiré des Deux Gentilshommes de Vérone. Dans la pièce, cette adorable sérénade matinale chantant les louanges de Sylvia est entonnée, non par l’un ou l’autre de ses trois prétendants, mais plutôt par un petit chœur posté devant sa fenêtre, dans la plus pure tradition romantique.
Schubert n’a mis en musique que deux textes de l’obscur poète Karl Lappe, mais ce sont deux joyaux. « Im Abendrot » est considéré comme le plus célèbre lied de Schubert traitant du crépuscule. Tel un hymne à la splendeur céleste du coucher de soleil, cette pièce baigne dans tant de sérénité et d’expressivité qu’elle nous inspire, selon le mot d’Eusebius Mandyczewski, une sorte « d’adoration haletante ».
« Die Forelle » est l’une des créations les plus abouties de Schubert. L’air possède un charme populaire que met en relief la pittoresque partie de piano, laquelle évoque les joyeux ébats de la truite dans l’eau scintillante. Cette mélodie est aussi connue des instrumentistes, puisqu’elle constitue le quatrième mouvement, sous forme de thème avec variations, du Quintette en la majeur « La truite ».
« Gretchen am Spinnrade » est le premier lied que Schubert ait composé sur un poème de Goethe, à dix-sept ans, et constitue l’une des plus frappantes manifestations de son génie. L’aspect le plus remarquable de ce lied est l’effet unificateur de ronronnement de la roue qui tourne, créé par la figure rythmique du piano. Assise à son rouet, Gretchen est en proie aux tourments d’un premier amour (avec Faust); languissante, elle souffre de l’absence de son amant et file la laine. Il ne s’agit pourtant pas tout à fait d’une chanson d’amour: une atmosphère d’appréhension, voire de désespoir, suggère le pressentiment qu’a la jeune femme de la tragédie qui va bientôt la frapper.
Le compositeur américain Kevin Puts (né en 1972) est surtout connu pour son opéra Silent Night (2011), couronné d’un prix Pulitzer en 2012. Letters from Georgia fait référence, non pas à l’État de la Georgie, mais plutôt à l’artiste Georgia O’Keeffe. Ce cycle de mélodies est basé sur les lettres pleines de verve qu’O’Keeffe a écrites à son futur époux, Alfred Stieglitz, et à l’artiste et suffragette Anita Pollitzer. Puts a composé ce cycle en étroite collaboration avec Mme Fleming, à qui il était destiné, et qui l’a interprété en première mondiale, à son alma mater, l’Eastman School of Music, à Rochester (N.Y) en 2016.
Le folklore du Brésil, son histoire haute en couleur, sa musique autochtone et ses paysages ont inspiré de nombreuses œuvres au plus célèbre compositeur du pays, Heitor Villa-Lobos (1887–1959). Bach est une autre influence majeure : il est à l’origine des neuf Bachianas brasileiras. Mouvement le plus connu des Bachianas, sans doute, l’aria est tirée de la cinquième suite de l'oeuvre. Elle a été utilisée dans des films, tels Espions en herbe 2 : L’île des rêves envolés et Cinquante nuances de Grey, et des séries télévisées, dont Amazonia et Mozart dans la jungle. On peut entendre la voix de Renée Fleming lorsque le personnage interprété par Julianne Moore chante cette pièce dans le film Bel Canto (sortie prévue le 26 octobre prochain au Canada).
« The Last Rose of Summer » est un poème de l’auteur irlandais Thomas Moore, écrit en 1805 et mis en musique sur un air traditionnel irlandais. La pièce a été reprise par plusieurs chanteurs populaires de maints pays et dans un nombre incalculable d'oeuvres classiques, notamment dans l’opéra Martha du compositeur allemand Friedrich von Flotow (1812–1883). À l’Acte II, Lady Harriet est priée d'exécuter un air pour Lionel, le jeune homme qui s’éprend d’elle. L’interprétation de Renée Fleming apparaît dans le film Trois affiches tout près d'Ebbing, Missouri (2017).
Le drame fantastique La forme de l’eau (2017) met aussi à contribution le talent de Renée Fleming, cette fois dans la chanson « You’ll Never Know ». Créée par Alice Faye dans le film Hello, Frisco, Hello, la pièce a permis au compositeur Harry Warren et au parolier Mack Gordon de remporter l’Oscar de la meilleure chanson originale en 1943.
On se souvient surtout de Ruggero Leoncavallo (1857–1919) pour son opéra Paillasse (1892), mais il en a écrit un autre basé sur les Scènes de la vie de Bohème d’Henri Murger, description attachante de l’existence de l’auteur dans les mansardes de Paris. La Bohème (1897) de Leoncavallo met en scène la même galerie de personnages que l’opéra plus connu de Puccini. Il s’ouvre sur une scène, placée à l’acte II chez Puccini, où les personnages principaux font la fête au Café Momus, la veille de Noël. Mimi surgit alors avec Musette pour chanter une savoureuse description de son amie (« Musette svaria sulla bocca viva »), qui ne vit que pour l’amour.
Homme d’église et compositeur italien, Licinio Refice (1883–1954) a écrit deux opéras et composé un grand nombre de mélodies pour la soprano Claudia Muzio, dont la populaire chanson « Ombra di nube » en 1935. Pour Renée Fleming, cette chanson est « un énoncé si beau et si pur qu’il mérite d’être plus largement connu ».
Se déroulant à Pékin à l’époque médiévale, Turandot (1926) est le dernier opéra de Giacomo Puccini (1858–1924), resté inachevé, et le plus grandiose et spectaculaire qu’il ait écrit. La princesse Turandot a un coeur de pierre, en raison d’un événement tragique survenu dans un passé lointain. Son faire-valoir est Liù, humble et jeune esclave qui aime avec candeur et un abandon total. Dans la touchante aria « Signore, ascolta », celle-ci supplie le prince Calaf de renoncer à son intention de briguer la main de Turandot pour garder la vie sauve. Le thème pentatonique est l’une des quelques mélodies chinoises que Puccini a incluses dans son opéra.
L’Italien Francesco Paolo Tosti (1846–1916) n’a pas composé d’opéras, mais des étoiles de la scène lyrique, de Caruso à aujourd’hui, se sont plu à interpréter les populaires romances de salon et ballades qui ont fait sa fortune. « La Serenata » est l’une des plus célèbres
Les deux pièces suivantes sont tirées de comédies musicales dans lesquelles Mary Martin s’est illustrée comme héroïne par excellence de Rodgers et Hammerstein, Maria dans The Sound of Music et l’infirmière Nellie dans South Pacific. Dernière création de l’illustre duo, The Sound of Music (1959) a tenu l’affiche à Broadway pour 1 443 représentations, mais c’est le film (« La mélodie du bonheur » en V.F.) qui l’a rendue célèbre dans le monde entier, et en a fait la plus connue des comédies musicales de R & H. Sa scène d’ouverture, dans laquelle on voit les cimes des montagnes filmées depuis un hélicoptère, n’est d’abord accompagnée que par le silence. On peut ensuite entendre des oiseaux, des instruments à vent, puis l’orchestre entier – après quoi, dans le tableau le plus emblématique du film, Julie Andrews apparaît, courant dans le pré vert et chantant « The hills are alive with the sound of music ». Basée sur le roman Pacifique sud, de James Michener, South Pacific (1949) est restée à l’affiche à Broadway pendant près de cinq ans, a remporté une avalanche de prix, et regorge de chansons inoubliables, dont celle que chante Nellie quand elle reconnaît enfin son amour pour Émile : « I’m in love with a wonderful guy ».
La musique et les paroles du spectacle de Broadway Nine (1982) sont l’oeuvre de Maury Yeston. Inspiré du film 8½ de Federico Fellini, celui-ci met en scène un réalisateur, Guido Contini, confronté à une crise de la quarantaine, à l’aube de cet anniversaire fatidique, qui l’empêche de réaliser son film. « Unusual Way » apparaît dans la scène où Claudia explique à Guido la nécessité de mettre fin à leur relation puisqu’elle ne correspond pas à la femme qu’il voudrait qu’elle soit. Cette relation leur a tout de même été profitable jusqu’alors, « de façon tout à fait inusitée ».
The Visit est d’un cru plus récent (musique de John Kander et paroles de Fred Ebb). Sa création a été compliquée par les attentats du 11 septembre 2001 : la pièce a pris l’affiche à Chicago, plutôt qu’à New York, et la version en un acte n’a été présentée à Broadway qu’en avril 2015. Ce thriller, basé sur une pièce de Friedrich Dürrenmatt, raconte l’histoire d’une vieille dame infiniment riche revenant dans sa ville natale avec une offre qui pourrait sauver cette dernière du marasme économique, à condition que les habitants acceptent que soit assassiné l’homme qui l’avait abandonnée de nombreuses années plus tôt. Elle formule son offre dans la chanson « Winter » et médite sur ce qui l’a conduite à cette extrémité dans « Love and Love Alone ».
Le récital se conclut, comme il se doit, par « The Glamorous Life », tirée de A Little Night Music (1973), musique et paroles de Stephen Sondheim, le « plus grand et plus célèbre artiste, sans doute, du théâtre musical américain » (Frank Rich, New York Times). Inspirée du film Sourire d’une nuit d’été d’Ingmar Bergman, la comédie musicale, faite de chassés-croisés amoureux, a pour personnage central Désirée Armfeldt, actrice qui fait des tournées et dont la carrière l’oblige à confier la garde de sa fille à sa mère. La chanson « The Glamourous Life » est chantée par ces trois personnages et un chœur. Dans la version de Renée Fleming (qui a élevé ses deux filles tout en ayant une carrière de chanteuse d’opéra), Désirée est peut-être bien une soprano et le numéro de groupe se transforme en un monologue que ne renierait pas une vraie diva.
Traduit d’après Robert Markow
Renée Fleming est l’une des chanteuses les plus appréciées et célébrées de notre époque. La soprano captive les auditoires avec sa voix somptueuse, son talent artistique et sa présence scénique irrésistible. En 2013, elle reçoit la distinction artistique la plus prestigieuse aux États-Unis, la médaille nationale des arts, des mains du président Barack Obama lors d’une cérémonie à la Maison-Blanche. Dix ans plus tard, elle est nommée ambassadrice de bonne volonté de l’Organisation mondiale de la Santé pour les arts et la santé et décroche le prestigieux Kennedy Center Honor.
En 2023, Renée Fleming remporte le prix Grammy de la meilleure performance vocale solo, son cinquième au compteur, puis le prix Crystal au Forum économique mondial à Davos. Elle est la seule artiste classique à avoir interprété l’hymne national des États-Unis, The Star-Spangled Banner, au Super Bowl (2014). Habituée des grandes occasions, la soprano s’est produite notamment à la cérémonie de remise du Prix Nobel en 2006 et aux Jeux olympiques de Beijing en 2008. En 2014, elle participe au concert télévisé à la porte de Brandebourg célébrant les 25 ans de la chute du mur de Berlin. En 2012, elle marque l’histoire en se produisant au balcon du palais de Buckingham lors du concert du Jubilé de diamant en l’honneur de Sa Majesté la reine Elizabeth II.
En 2008, Renée Fleming devient la première femme à être la tête d’affiche solo du concert de gala inaugural de la 125e saison du Metropolitan Opera. En janvier 2009, on a pu la voir à la télévision lors du concert d’investiture du président Obama, We Are One: The Inaugural Celebration, au Lincoln Memorial. Cette même année, elle s’est produite à la Cour suprême des États-Unis et au concert célébrant le 20e anniversaire de la révolution de velours de la République tchèque à l’invitation de Václav Havel.