4 avril 2019

«Revisor»: les faussaires de leur propre jeu

Mélanie Carpentier

Critique 

Avec Betroffenheit (2015), la chorégraphe Crystal Pite et le dramaturge Jonathon Young jetaient les bases d’un solide procédé faisant s’interpénétrer brillamment danse et théâtre. Transformant le texte dramatique en une véritable matière chorégraphique, les deux créateurs usent des mêmes ficelles pour Revisor, pièce où neuf danseurs se glissent dans la peau et les costumes des personnages du Revizor de Nicolas Gogol.

L’intrigue tourne autour du « Réviseur », personnage d’imposteur (incarné par Tiffany Tregarthen) qui fabrique ce rôle absurde de toutes pièces et vient semer la zizanie parmi une petite bourgeoisie de fonctionnaires. Le prenant à tort pour un inspecteur infiltré, chacun sera prêt aux pires bassesses et à conspirer contre les autres pour protéger ses arrières, dissimuler ses propres magouilles et s’attirer ses bonnes grâces.

Épousant dans un premier temps le registre de la farce, les danseurs suivant un procédé de lip-sync — doublé par des voix d’acteurs — surarticulent, grossissent les traits de leurs personnages, en exagèrent les états d’âme tout en danse. Dans cette comédie de gestes, le texte théâtral, cannibalisé par les figures virtuoses, déraille et balbutie. La défaillance de la parole — phrases qui figent, dont les syllabes se trouvent disséquées, décomposées, tournant en boucle, devenant musique à l’oreille — souligne l’absurdité et la vacuité du langage bureaucratique (« Je suis là pour déplacer une virgule », clame le réviseur), donnant matière à rire.

Source: Le Devoir 

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