Florent Vollant : retrouver sa dignité et sa fierté à travers la musique

Le 30 janvier, la série CNA Présente en partenariat avec BMO Groupe financier a eu l’immense plaisir d’accueillir l’artiste Florent Vollant, figure de proue de la communauté artistique innue. L’auteur-compositeur-interprète originaire de Maliotenam et ancien membre du célèbre duo Kashtin plonge à nouveau dans l’univers du chant traditionnel avec un quatrième album solo, PUAMUNA, qui signifie « rêves » en innu. Nous avons eu le plaisir de faire un entretien avec l'artiste afin de parler musique et carrière!

Selon vous, quelles caractéristiques de la langue innue la rendent si mélodieuse?

Dans la langue innue, le son « r » n’existe pas, et donc je m’efforce de trouver le bon son. Je suis conscient que je m’adresse souvent à des gens qui ne comprennent pas la langue, c’est pourquoi quand j’écris, je cherche des mots qui parlent bien à l’oreille. Je choisis les mots justes, des sons qui ne seront pas agressants, car le langage devient comme un instrument et je veux qu’il y ait un bon « feeling ».

Comment vous préparez-vous pour un concert? Avez-vous des rituels, des habitudes?

Quand on est nomade, c’est certain qu’il y a des rituels qui s’installent. On est toujours devant l’inconnu. On propose sa musique dans des endroits qu’on ne connait pas vraiment. J’apporte avec moi de la sauge que je fais brûler pour me rappeler mes origines et vivre dans le moment présent. C’est pour moi que je fais ça, mais parfois les musiciens m’accompagnent dans le « smudging ». Bien entendu, personne n’est obligé de participer. Ça me rapproche de ma famille, de mes origines. Je prends ce temps pour me recentrer avant de monter sur scène.

Vous avez ouvert le Studio Makusham à Maliotenam en 1997. Il sert notamment de lieu de formation et de création pour les jeunes musiciens autochtones. Que vous ont-ils appris, et que souhaitez-vous leur impartir?

J’ai appris qu’ils sont très intenses et qu’ils ont besoin de s’exprimer. Ils ont beaucoup de choses à dire. J’ai aussi appris qu’ils ont beaucoup de talent, mais qu’il y a un gros travail d’orientation à faire. Ce sont vraiment des jeunes passionnés.

La musique c’est du travail, beaucoup de travail. Et la musique c’est une passion. Quand on met passion et travail ensemble, ça devient une vocation. Quand j’arrive à faire passer ce message, je suis content. Pour eux, la musique c’est un jeu, mais pour bien jouer il faut travailler!

Du 14 au 30 janvier, le CNA accueille l’exposition 100 ans de pertes, créée par la Fondation autochtone de l’espoir, qui cherche à sensibiliser le public à l’héritage des pensionnats. Que pensez-vous de cette initiative?

Je fais partie de ce parcours-là. J’ai été pensionnaire pendant quelques années. C’est certain que c’est difficile d’avoir connu cette réalité et d’en entendre parler encore et encore. Pour quelqu’un comme moi, c’est difficile.

C’est un chapitre de notre passé qu’on ne peut pas ignorer. Beaucoup d’Autochtones partout en Amérique ont été touchés par les pensionnats. C’est bien de faire comprendre aux gens par où on est passé, pour permettre une meilleure compréhension de notre réalité.

La musique m’a permis de retrouver ma dignité et ma fierté. Mais c’est aussi important de donner aux autres à travers notre musique. La musique m’a guéri et continue de le faire.

Parlez-nous de l’enregistrement de PUAMUNA. En quoi cet album se distingue-t-il des autres?

Ce qui a été différent pour cet album, c’est que je l’ai entièrement conçu dans mon studio, Makusham, à Maliotenam. Pour les albums précédents, j’arrivais à faire un certain travail ici, et ensuite je devais les transporter à Montréal, où je les finissais. Cette fois-ci, le processus de création et d’enregistrement s’est fait à partir de chez moi, du début à la fin. Aussi, plutôt que d’aller vers les autres musiciens, ce sont eux qui sont venus à moi. Par exemple, Réjean Bouchard est arrivé de Montréal et nous a aidés au niveau technique, et d’autres personnes telles que Toby Gendron ont aussi beaucoup aidé au niveau du mixage.

On a passé beaucoup de temps en studio. Je me suis permis de travailler les chansons et aussi de les recommencer. Je me suis dit que j’allais prendre mon temps, arranger les parties que je n’aimais pas, ce qui m’obligeait des fois à changer tout le reste de la chanson. Je me suis permis ce luxe-là, de vraiment prendre mon temps.

La création de l’album s’est échelonnée sur trois ans, et a été possible en partie grâce à la collaboration de Richard Séguin. Quelle importance attachez-vous à la collaboration musicale?

[La collaboration musicale] a toujours été importante pour moi. Mon esprit de « gang » est très fort, car je travaille avec un groupe de musiciens, et je fais beaucoup de travail de collaboration. Je suis issu d’un groupe (Kashtin), donc j’ai toujours eu cette facilité à échanger et à créer avec les autres. C’est naturel pour moi. Je travaille souvent avec d’autres artistes et, comme je n’ai pas étudié en musique, j’apprends beaucoup d’eux. Et je souhaite en retour leur apporter quelque chose à travers notre collaboration.

Le Studio Makusham est un très bel endroit où échanger; un endroit où il n’y a pas de tensions, pas de pression, et où on accueille et laisse aller l’inspiration. On ne s’attend à rien. On frotte la lampe magique ensemble jusqu’à ce que le génie sorte. On prend notre temps, et s’il ne sort pas, on se reprend et on recommence. C’est ce que je souhaite pouvoir apporter aux autres, cette intention et cet esprit-là.  

Comment décririez-vous votre démarche artistique? Les paroles viennent-elles avant la mélodie ou c’est plutôt le contraire?

La manière dont je travaille, et celle que j’ai adoptée depuis le début, c’est la musique d’abord. Je me considère comme un mélodiste –  ça, c’est vraiment mon objectif dans la vie. La mélodie, c’est ce que je crée d’abord, et ensuite vient l’histoire. Lorsque je l’ai trouvée, tous les mots s’attachent à elle. Il y a des histoires parfois tristes, parfois heureuses, des histoires inspirées de ma communauté, car je me mets dans la peau des autres et j’essaie de trouver les mots que je pourrais dire à leur place. Je vais alors peindre ce tableau pendant des mois avant que ça devienne réellement une chanson. Je me donne le droit de changer un mot ici et là, jusqu’à la dernière minute. C’est ce que j’ai vécu à travers PUAMUNA.


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