Une absolue liberté et un complet abandon sont à la source de toute musique soul digne de ce nom. C'est avant tout une plongée au cœur des émotions. Nul doute que la chanteuse Frazey Ford a puisé aux sources telluriques et s'est nourrie de cette riche tradition pour faire entendre ses propres histoires sur son plus récent album, Indian Ocean, qui aborde les thèmes de la douleur et des dures réalités avec lesquelles il faut parfois composer, mais aussi de la confiance, des doux regrets amoureux et de l’audace. En pleine possession de ses moyens, la chanteuse passionnée met de la chair sur le squelette musical et retrouve l’essence même de la notion de R‑E‑S‑P‑E‑C‑T de la grande Aretha Franklin.

Le velouté de la voix de Frazy Ford a toujours vibré d’émotions contenues, tant dans les enregistrements de son groupe Be Good Tanyas que sur son premier album solo, Obadiah (2010). Mais cette fois, les harmonies bucoliques à l’ancienne auxquelles elle nous avait habitués ont fleuri : les vannes se sont ouvertes et c’est désormais un jaillissement vocal torrentiel qui nous propulse au cœur du courant.

Pendant 45 minutes, entourée de musiciens soul parmi les plus brillants et chevronnés, sa magie combinée à la leur transporte les chansons vers de nouveaux sommets. En effet, Indian Ocean doit en partie son verni aux membres de l’orchestre d’Al Green, The Hi Rhythm Section, les architectes du son instrumental légendaire du célèbre chanteur et de tant d’autres interprètes associés à l’étiquette Hi Records Memphis du producteur Willie Mitchell dans les années 1970. Charles Hodges (orgue), Leroy Hodges (basse) et le regretté Teenie Hodges (guitare), décédé plus tôt cette année, ont aidé Green à composer certaines de ses chansons les plus célèbres. Frazey Ford a bénéficié de leurs talents incomparables, le trio accentuant la sensualité et la richesse de sa voix avec des lignes de basse profondes, de subtils contretemps et des nappes d’orgue éthérées.

« C’était une sensation incroyable de me retrouver dans ce studio à chanter dans ces vieux microphones, et de collaborer avec ces maîtres formidablement talentueux du groove subtil et de la soul. Je pouvais sentir l’histoire et les vibrations de ce lieu mythique à travers le plancher », raconte la chanteuse.  « Je vénère ces gars-là depuis vingt ans. Ils sont nos héros. »

« You Got Religion » trouve dans nos jardins individuels un paradis. « Weather Pattern », une chanson sur la mort, tout en délicatesse et plus complexe qu’il n’y paraît, est l’une des pièces de cet album qui puisent une forme d’expression dans la nature – l’un des points forts de l’écriture de Ford. La très subtile pièce-titre de l’album propose un envol onirique et imaginaire au-dessus de l’océan, donnant l’impression d’un baptême. À l’écoute des chansons de cet Indian Ocean, on retire un sentiment de légèreté et de grâce mystique – comme une bénédiction. Ford met au jour, dans une veine lyrique et candide, des confidences intimes révélant un cœur généreux, avec une acuité qui associe le beau, le méditatif et le fulgurant. En fin de compte, Indian Ocean traite de renouveau, de force, d’apprendre à respirer et à lâcher prise, de confiance en soi, des vagues qu’il faut laisser déferler, et de l’importance d’apprécier tout ce qui mérite d’être aimé.